Page:Goncourt - Journal, t3, 1888.djvu/355

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s’agite sur son oreiller dans un mouvement incessant de droite à gauche, bruissante de toute la sonorité inintelligente d’un cerveau paralysé, et jetant par les deux coins de la bouche, des ébauches de phrases, des tronçons de mots, des syllabes informulées, prononcées d’abord avec violence, et qui finissent par mourir comme des soupirs… Dans le lointain j’entends distinctement un chien qui hurle à la mort… Ah ! voici l’heure des merles et de leur sifflement dans le ciel devenu rose, et toujours dans les rideaux, le blanc éclair de ses yeux demi-fermés, qui ne dorment pas dans leur calme apparence de sommeil.

Avant-hier jeudi, il me lisait encore les Mémoires d’outre-tombe, car c’était le seul intérêt et la seule distraction du pauvre enfant. Je remarquais qu’il était fatigué, qu’il lisait mal. Je le priai d’interrompre sa lecture, l’engageant à venir faire un tour de promenade au bois de Boulogne. Il résista un peu, puis céda, et se levant pour sortir de la chambre avec moi, je le vis trébucher et aller tomber sur un fauteuil. Je le relevai, le portai sur son lit, l’interrogeant, lui demandant ce qu’il éprouvait, voulant le forcer à me répondre, anxieux de l’entendre parler. Hélas ! comme dans sa première crise, il ne put que proférer des sons qui n’étaient plus des paroles. Fou d’inquiétude, je lui demandai s’il ne me reconnaissait pas. À cela, il me répondit par un gros rire railleur, qui semblait me dire : « Est-ce assez bête à toi, de croire ça possible !… » Suivit bientôt un ins-