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18 août. — Je regarde, par une porte-fenêtre ouverte, sauter au Casino les gandins qui dansent. Au milieu d’eux un gilet blanc, un petit ventre qui pointe, un danseur à l’air d’un garçon de noce endimanché. C’est Doré. Les artistes aiment ces joies qui les frottent à un semblant de monde. Tous les hommes de lettres passeraient ici, que pas un n’irait figurer dans ce trémoussoir.

Le quadrille fini, Doré reconduit sa danseuse, la salue comme à un bal chez Passoir, vient à nous deux, nous demande à faire un tour sur la jetée. Et le voilà à lancer des idées fortes, mais sans lien ni suite ; le voilà à faire des charges, mais comme pour lui, au fond de sa gorge, et qu’on n’entend pas ; le voilà à vous accabler d’un tas de questions, mais sans jamais écouter vos réponses ; — à la longue vous hébétant, vous courbaturant, vous assommant de lui[1].

Même, peut-être très injustement, son physique m’est antipathique. Il me déplaît, cet homme, gras, frais, poupin, la figure en lune de lanterne magique, le teint d’enfant de chœur, la mine sans âge, et où le labeur effrayant de sa production n’a pas mis d’années, il me déplaît enfin avec son air d’enfant prodige sur un corps d’homme fait.

21 août. — Fini aujourd’hui Manette Salomon.

  1. Depuis nous l’avons connu d’une manière assez intime, et notre jugement de 1866, sur lui, s’est fort modifié.