Page:Goncourt - Journal, t3, 1888.djvu/85

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et l’ombre de ces couronnes qui ont effleuré son front ?

« Nicolas, c’était un peu le type de l’ogre, reprend-elle, mais nuancé par des choses de cœur comme chef de famille. Un excellent père et parent. Il allait tous les jours voir les princes, les princesses, assistait aux repas, était présent quand on fouettait les enfants, se rendait compte de ce qu’ils mangeaient, lorsque les parents étaient absents, ne manquait pas de se trouver aux couches des princesses. Oui, il était excessivement paternel et bon pour les gens de sa famille. Il avait des amis, comme un particulier, Kisseleff, par exemple, qui entrait à toute heure, familièrement, dans la chambre de l’Impératrice.

« Un peu de sa dureté, il faut bien le reconnaître, était faite par la canaillerie, par la volerie de tout ce qui l’entourait. Il disait à son fils : “Il n’y a que nous deux d’honnêtes gens en Russie !” Car il savait que toutes les places étaient vendues. Il n’y avait donc rien d’étonnant qu’il y eût chez lui une certaine affectation théâtrale d’impitoyabilité. »

Et la princesse nous le montre faisant la police lui-même, se promenant dans les rues sur une petite voiture, plus grand de la tête que tous ses sujets. Et beau comme un camée, et rappelant un empereur romain ! ajoute-t-elle.

« Eh ! mon Dieu, il était un peu fou, mais c’était bien concevable quand je pense que j’ai vu cela à Moscou sur son passage au Kremlin : des moujicks lui touchant sa botte, et faisant le signe de la croix, avec la main qui l’avait touchée.