Page:Goncourt - Journal, t3, 1888.djvu/92

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29 octobre. — Nous soupons au sortir de la première représentation de la Conjuration d’Amboise, avec Bouilhet, Flaubert, la comtesse d’Osmoy. À deux heures d’Osmoy arrive. Il vient de battre pour le succès de son ami tous les cafés Tabourey du quartier Latin, ayant laissé, je ne sais où, Monselet un peu éméché, et qui en est à son second souper, et compte bien ne pas s’en tenir là.

Dans ce souper après un succès, après une ovation, ce qui nous frappe, nous si friands de ces joies fiévreuses, et qui reviendrons à ce damné théâtre : c’est le creux de ce bonheur.

Le triomphateur est d’abord éreinté, il tombe de fatigue et d’accablement, il est tout au bout de ses émotions et de ses sensations nerveuses, et, pour ainsi dire, trop usé pour jouir de sa réussite. Rien de l’épanouissement complet d’une franche félicité. On sent l’auteur traversé d’inquiétudes, de préoccupations. Tout l’empêche de goûter son présent. Il est à la représentation du lendemain, aux mauvaises chances qui peuvent survenir, au revirement qui peut se produire. Non, ce n’est pas l’applaudissement de tous qu’il a dans l’oreille et le cœur, non ce n’est pas l’acclamation universelle : c’est un on-dit, « que Girardin a blagué tout le temps », c’est le rapport de la maussaderie de la figure de tel critique ; enfin tout ce qu’il peut se forger de mauvais, d’hostile, de perfide dans les feuilletons du lundi.

Nous étudions sur ce brave garçon, le sournois empoisonnement de la victoire au théâtre, et devant