Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/137

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remonte sur les épaules. Elle a un foulard blanc au col, et un panier de paille noire à la main.

C’est la toilette distinguée de la fille de maison, à l’usage des militaires, en l’an de grâce 1870.

Mercredi 9 novembre. — Ce soir, je me cogne contre Nefftzer, qui m’emmène boire un verre d’aff-aff chez Frontin. Nous descendons dans la cave, hantée par les démocrates. Nefftzer a déjà l’animation, l’expansion de quelques chopes, et son rire de la Souabe est formidable.

Sur un mot que je dis de Victor Hugo, le voici à se débonder sur l’homme, qu’il a beaucoup pratiqué à la Conciergerie, du temps qu’Hugo venait, tous les jours, dîner avec ses fils et Vacquerie. Il me parle de sa complète inconscience en fait de nourriture : « Proudhon, dit-il, et un autre de mes amis, s’étaient rationnés à des dîners qui coûtaient dix sous. Notez que pour ces dix sous, on avait trois plats ; mais quels plats ! On avait du vin, mais quel vin ! Moi je fais la distinction des bonnes et des mauvaises choses, mais je me résigne aux mauvaises. Lui, Hugo, rien ! Je me rappelle, un jour, où il était en retard, et où nous ne l’attendions plus. Nos restes avaient été jetés dans un coin : un infâme arlequin, un mélange de choses, comme de la blanquette de veau et de la raie au beurre noir… Eh bien, Hugo s’est jeté là-dessus. Nous le regardions avec stupéfaction… et vous savez qu’il mange comme Polyphème. »