Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/138

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« Très amusant, alors Hugo, c’était au moment de l’élection du Président, j’occupais la meilleure chambre, la chambre arrangée pour Beauvallon. On se tenait chez moi. Hugo venait y caresser de paroles Proudhon, mais au fond, Proudhon avait pour lui le mépris qu’il aurait eu pour un musicien. »

« Ma chambre là, ça servait à tout. Un jour il y eut un fort dîner. Crémieux avait apporté du vin de Constance, qu’il tenait de Rothschild, en qualité de juif. Mme Hugo se mit à parler, à parler un peu trop, je n’oublierai jamais le regard impossible à rendre, par lequel Hugo l’a tout à coup foudroyée, l’a réduite au silence. »

« Autrefois, quand Hugo venait à la Presse, je ne le reconnaissais jamais à première vue : l’idée que j’avais du grand poète ne concordait pas, dans le premier moment, avec le monsieur que j’avais sous les yeux !… Oui, figurez-vous l’aspect d’un fricoteur, d’un étudiant de trentième année… il n’était pas soigné… et puis sa manie de porter des sous-de-pied étroits, et des pantalons gris-perle, remplis de taches, avec toujours un habit noir. »

« Quand je l’ai revu en Belgique, c’était un autre homme, on aurait dit un vieux capitaine de cavalerie… Mais, il faut le reconnaître, qu’il s’agisse de l’ancien ou du nouvel Hugo, il a toujours eu une séduction dans l’accueil, une grâce de politesse charmante… Je me rappelle que quand nous allions chez lui, avec nos femmes, il n’en laissait pas partir une, sans lui mettre sur le dos son châle ou sa cape-