Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/347

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l’épaule, s’appuyant sur des cannes qu’ils se sont faites avec des baguettes de fusils d’insurgés, et à presque tous les détours de ces rues faubouriennes, des campements de pantalons rouges, au pied de petits arbres écorchés par les balles, et portant, dans leur branchage, le pittoresque accumulis de leurs sacs et de leurs gibernes.

Nous traversons Charonne, l’avenue du Trône. Nous passons devant le Grenier d’abondance, qui remplit tout le quartier d’une odeur de raffinerie. Nous poussons jusqu’au pont d’Austerlitz, où je m’arrête à voir les maisons incendiées, le restaurant bouleversé, le bouquet d’arbres haché par Bourbonne, que nous allons voir sur sa canonnière.

Sa canonnière est amarrée à l’endroit, où il a fait taire sept canons et deux mitrailleuses. Sur trente hommes, il a eu trois tués et sept blessés ; tous ont des contusions. Il croit que sans la précaution qu’il avait eue de garnir son avant de sacs de terre, personne n’aurait survécu. Il a une très médiocre estime pour l’armée de terre, et il nous affirme qu’à tout moment, pendant l’action, on demandait 40 matelots pour enlever les hommes.

Ce qu’il nous dit de très curieux, c’est que trois jours avant l’entrée des troupes, les batteries de Montretout où il avait un commandement, faisaient dire à Versailles d’entrer. Les longues-vues leur montraient le Point-du-Jour complètement abandonné, et sans le capitaine Trèves, l’entrée eût été encore retardée.