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Dimanche 2 septembre. — Mes nuits sont si pleines de cauchemars, si anxieuses, qu’elles me font presque redouter le sommeil. Barbey d’Aurevilly m’avouait, il y a quelques années, les mêmes appréhensions. Et ce qu’il y a de particulier dans ces cauchemars, c’est toute cette humanité de rêve que j’y rencontre : ces visages de vieillards, d’hommes faits, d’enfants, si sournois, si impitoyablement gouailleurs, si méchamment fermés, ces visages diplomatiques, d’un machiavélisme que montrent seulement les plus mauvaises figures de la vraie humanité, et qui vous laissent la sensation d’une intimidation, douloureusement indéfinissable, — des figures que je voudrais décrire, le matin, si le rêve ne vous laissait pas des êtres qu’il fabrique, des impressions, si effacées, si délavées.

Vendredi 7 septembre. — Le succès présent du roman russe est dû, en grande partie, à l’agacement qu’éprouvaient nos lettrés spiritualistes, de la popularité du roman naturiste français, et qui ont cherché le moyen d’enrayer ce succès. Car incontestablement, c’est la même littérature ; la réalité des choses humaines vue par le côté triste, non lyrique, le côté humain, — et non par le côté poétique, fantastique, polaire, de Gogol, le représentant le plus typique de la littérature russe.

Or, ni Tolstoï, ni Dostoïevski, ni les autres à leur suite, ne l’ont inventée cette littérature russe de