Page:Goncourt - Journal, t8, 1895.djvu/168

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dans un pays, où la majorité est si immensément catholique, ça lui paraissait manquer un peu de tact. Puis tout en célébrant les qualités de l’écrivain, il lui reprochait de manquer de grandeur.

Et comme, le discours fini, de Barante lui demandait d’en transmettre la teneur à l’Académie, après qu’il était sorti, se tournant vers Gavarret, il jetait sur la note la plus hautainement méprisante : « Ne croit-il pas, celui-là, qu’il est permis à tout le monde de tout dire ! »

Decazes était aux petits soins pour lui, faisait couper les branches des arbres du jardin du Luxembourg qui donnaient de l’ombre à sa chambre, à son cabinet de travail, et lui rendant souvent visite, l’amusait des potins de la politique. Un jour qu’il s’était rencontré avec Gavarret, et qu’il s’était montré très causant, très charmant, quand il fut sorti, après un long silence, Royer-Collard s’écriait : « Un homme fatal cependant, l’homme qui sort d’ici, le premier ministre qui a acheté un député français à beaux deniers comptants ! »

Ce froid doctrinaire, ce diseur de mots féroces, ce dur à cuire semblant fermé à toute tendresse, aurait été pris sur ses quatre-vingts ans, d’une sorte de passion amoureuse pour la duchesse de Dino, à laquelle il écrivait tous les jours ; passion dont la duchesse aurait chauffé l’innocente flamme, flattée de la grande importance politique de l’amoureux.