Page:Goncourt - Journal, t8, 1895.djvu/211

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Jeudi 8 janvier. — À table je m’emballe, et me laisse aller à dire aux jeunes qui sont là, qu’ils sont des lâches littéraires, que Daudet et moi, nous nous battons toujours tout seuls, sans le secours du plus petit corps d’armée, qu’un livre comme l’Immortel, n’a pas trouvé l’appui d’une seule plume amie, que la pièce de Germinie Lacerteux a été défendue et soutenue seulement par des inconnus.

Samedi 10 janvier. — Je donne ce soir à dîner à Ajalbert, à Antoine, et à Janvier et à Mlle Nau, les deux premiers rôles de la Fille Élisa.

Antoine arrive tout heureux. La réclamation de 8 000 de l’Assistance publique, sur la menace qu’il allait fermer son théâtre, et que la centaine de jeunes gens dont il avait reçu des pièces, allait prendre à partie dans tous les journaux l’institution dévoratrice, a fait tomber la réclamation de 8 000 francs à quelque chose comme 80 francs.

Janvier, lui, ce jeune acteur d’un si grand talent, gagne cent francs par mois, dans une compagnie d’assurances, et comme on le pousse à quitter sa compagnie, et qu’on lui prédit qu’il lui sera impossible de ne pas faire sa carrière du théâtre, il s’y refuse doucement, disant qu’il ne veut pas faire trop de peine à son père, qui peut très bien ne connaître rien aux choses d’art, mais qui l’aime beaucoup, et qu’il veut le laisser tranquillement évoluer, persuadé, qu’un jour, il le laissera jouer, mais alors sans trop de répugnance.