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Jeudi 12 novembre. — Sully Prudhomme dîne ce soir chez Daudet. Une tête, où court sur la tempe une mèche grise, semblable à une aile d’oiseau repliée, une conversation intelligente, substantielle, savante, aimant le mot abstrait, une conversation qu’on pourrait qualifier de mystico-philosophique, servie par une petite voix flûtée, qui a parfois les sons mystérieusement enroués d’une voix d’adolescent en train de muer.

Samedi 14 novembre. — J’ai repris mon travail sur la Guimard, et j’y travaille autant que me le permet mon état maladif. C’est amusant, ces reconstitutions d’êtres du passé, faits de toutes pièces et de toutes choses, ainsi que je le fais. Hier, j’étais à la Bibliothèque de l’Opéra, demain, j’irai chez un notaire, successeur du notaire de la Guimard, copier le contrat de mariage de la danseuse, un autre jour, j’irai prendre, chez Groult, la description de son portrait en Terpsichore, peint par Fragonard dans son hôtel de la Chaussée-d’Antin, un autre jour j’irai, à Pantin, retrouver ce qu’il peut rester de son érotique théâtre, un autre jour encore, j’irai chez Prieur de Blainville, s’il existe encore, étudier la gouache de la rare estampe du Concert à trois.

Dimanche 15 novembre. — On me conte ceci, ce soir. Un jeune homme était allé, un de ces jours-ci,