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santes, comme en dit un homme d’esprit, pour lequel le lendemain est sans bistouri.

Vendredi 30 juin. — Malgré moi, toute la matinée je ne puis m’empêcher de penser à Lorrain, que Pozzi opère dans ce moment.

À cinq heures, je vais savoir de ses nouvelles. Sa mère qui est à la porte, me dit : « De son lit, il vous a vu traverser la place… entrez donc quelques instants… vous lui ferez un vrai plaisir. » Et tout bas : « Ç’a été bien dur. »

— Ah ! fait-il, en me voyant entrer, on a été, six minutes avant de m’endormir… je croyais que je ne dormirais jamais… Pozzi m’a dit : Vous avez pris de l’éther… Oui c’est vrai, j’en ai beaucoup pris, à la suite d’un grand chagrin, qui me donnait des contractions de cœur… et ces contractions, l’éther les calmait… vous savez, l’éther c’est comme un vent frais du matin… un vent de mer qui vous souffle dans la poitrine… Ah, après ce que j’ai souffert… il me semblait que j’avais le corps rempli de phosphore et de flamme… Il faudra encore que dans trois semaines, je fasse une saison de Luchon… C’est bien ennuyeux d’être obligé de refaire son sang.

Puis après un silence, ses bras jetés hors de son lit, dans un étirement douloureux : « Oh, dans la vie, il n’y a peut-être que quelques jouissances littéraires, et quelques jouissances d’exquise gourmandise. »