Page:Goncourt - Journal, t9, 1896.djvu/255

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parle tout à fait éloquemment des petits drames, accidentant la vie des exécutants.

Lui, il déclare avoir, à chaque concert qu’il donne, l’émotion anxieuse, maladive, de son tout premier concert, avec la préoccupation d’empêchements apportés à son exécution — et jusqu’à la dernière note — par les palpitations de son cœur, les contractions nerveuses de son avant-bras, la chaleur de la salle qui peut rendre les touches du piano humides, une raie du parquet, où peut glisser le pied de sa chaise. Et après ces exécutions, la dépense de l’émotion a été telle chez lui, qu’il est pris de crampes d’estomac atroces.

Mais dans ses concerts de Londres, qui durent deux heures, et où il est le seul exécutant, c’est surtout la préoccupation, à un moment, de la perte de la mémoire, et, comme il le dit, d’un trou tout noir, se faisant dans le souvenir.

Samedi 4 août. — Les jeunes gens, élevés à la campagne, et passant des heures à contempler le paysage, ou à regarder le bouchon flottant d’une ligne, gagnent à ce trop long contact avec la nature, un lazzaronisme, une torpeur, une paresse de l’esprit, qui les empêchent de faire quelque chose dans la vie. Pour avoir le goût fiévreux du travail et de la production, il faut presque toujours avoir grandi dans l’activité des capitales.