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OBLOMOFF.

veler l’ordre et revenir à des discussions peu agréables.

Malgré tout, c’est-à-dire bien que Zakhare aimât à boire un coup, à cancaner de temps à autre, qu’il volât à Oblomoff des pièces de cinq et de dix kopeks, qu’il cassât souvent et qu’il fût paresseux, on finissait par reconnaître que c’était un serviteur profondément dévoué à son maître.

Il n’aurait pas hésité une minute à se jeter pour lui au feu ou à l’eau ; il ne croyait pas que ce fût un acte héroïque, digne d’admiration ou de récompense. Il considérait la chose comme toute naturelle et ne pouvant être autrement, ou, pour mieux dire, il ne la considérait pas du tout, et aurait agi ainsi sans raisonnement.

Il n’avait pas de théorie sur ce point. Jamais il ne lui venait en tête de soumettre à l’analyse ses sentiments et ses relations avec Élie. Il ne les avait pas inventés, il les tenait de son père, de son aïeul, de ses frères, de la livrée parmi laquelle il était né et avait été élevé : ces sentiments avaient pénétré jusqu’à la moelle de ses os.

Zakhare serait mort pour le barine, considérant cet acte comme un devoir naturel et inévitable. Sans s’en rendre compte et sans se piquer d’héroïsme, il se serait jeté tout bonnement à la mort, absolument comme un chien qui, rencontrant une bête féroce dans la forêt, se jette sur elle, sans examiner pour-