Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/129

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— J’ai peur de lui ! dit-elle, avec inquiétude, après le départ du grêlé. On dirait un poêle chauffé à blanc, il ne donne pas de chaleur, mais il brûle…

— Oui ! répondit le Petit-Russien, appuyant sur les mots. C’est un gamin irascible. Ne lui parlez jamais d’Isaïe, petite mère… Cet Isaïe est vraiment un espion… il est même payé pour ça…

— Ce n’est pas étonnant ! Son meilleur ami est un gendarme !

— Vessoftchikov finira par l’égorger ! reprit André avec inquiétude. Là, voyez-vous quels sentiments messieurs les commandants de notre vie font naître dans les rangs inférieurs !… Quand tous ceux qui ressemblent au grêlé prendront conscience de leur situation humiliante et qu’ils perdront patience… mon Dieu, qu’arrivera-t-il ? Le ciel sera éclaboussé de sang, et la terre écumera comme si une mousse rouge la recouvrait.

— C’est terrible, mon André ! articula fébrilement la mère.

— Nos ennemis n’auront que ce qu’ils méritent… Et pourtant, petite mère, chaque gouttelette de leur sang aura été lavée à l’avance par les lacs de larmes du peuple…

Il se mit soudain à rire et ajouta :

— C’est juste, mais ce n’est pas consolant…


XXII


Un dimanche, lorsque la mère, revenant de l’épicerie, ouvrit la porte d’entrée et parut sur le seuil, elle fut envahie par une joie subite, pareille à une pluie d’été : elle avait entendu résonner dans la chambre la forte voix de Pavel.

— La voilà ! s’écria le Petit-Russien.

La mère remarqua la rapidité avec laquelle son fils se tourna vers elle ; elle vit son visage s’illuminer d’un sentiment qui promettait de grandes choses.

— Te voilà revenu… à la maison ! chuchota-t-elle, toute déconcertée par la surprise, et elle s’assit.

Pavel se pencha vers elle, très pâle ; de petites larmes lumineuses brillaient au coin de ses yeux et ses lèvres