Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/147

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— Quand on veut aller de l’avant, il faut lutter contre soi-même. Il faut savoir tout sacrifier, tout son cœur… Il n’est pas difficile de consacrer sa vie à la cause ni de mourir pour elle ! Mais il faut lui donner plus encore, il faut lui donner ce qu’on a de plus cher dans la vie… et alors ce qu’on a de plus cher, la vérité, grandira en puissance !

Il s’arrêta au milieu de la chambre ; le visage pâli, les yeux à demi fermés, et reprit, la main levée en un geste de promesse solennelle :

— Je le sais, il viendra un temps où les hommes s’admireront mutuellement, où chacun d’eux luira comme une étoile aux yeux des autres, où chacun écoutera son prochain comme si sa voix était de la musique. Il y aura sur la terre des hommes libres, des hommes grands par leur liberté ; chacun aura le cœur ouvert, purifié de toute avidité et de toute convoitise. Alors la vie ne sera plus la vie, mais un culte rendu à l’homme ; son image sera exaltée très haut, car pour les hommes libres, tous les sommets sont accessibles ! Alors, on vivra dans la liberté et dans l’égalité, pour la beauté ; alors, les meilleurs seront ceux qui sauront le mieux embrasser le monde dans leur cœur, ceux qui l’aimeront le plus profondément, ceux qui seront les plus libres… car c’est en eux qu’il y aura le plus de beauté ! Alors la vie sera grande, et grands seront ceux qui la vivront…

Il se tut, se redressa, se balança comme le battant d’une cloche, et reprit d’une voix qui vibrait de toute son énergie :

— Et au nom de cette vie, je suis prêt à tout… Je m’arracherai le cœur s’il le faut, et je le foulerai moi-même aux pieds…

Son visage frémit ; ses traits gardèrent leur expression d’excitation lumineuse ; l’une après l’autre, de grosses larmes pesantes coulèrent de ses yeux.

Pavel leva la tête et le regarda ; il était pâle, lui aussi, et avait les yeux dilatés. La mère se souleva un peu de sa chaise ; elle sentait une inquiétude croître et se rapprocher d’elle.

— Qu’as-tu André ? demanda Pavel à voix basse.

Le Petit-Russien secoua la tête, tendit son corps comme une corde, et dit en regardant la mère :