Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/148

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— J’ai vu… je sais…

Pélaguée se leva, courut à lui, toute tremblante ; elle s’empara de ses mains ; il essaya de dégager sa main droite, mais la mère le tenait avec force et chuchotait :

— Calme-toi, mon André ! mon enfant… calme-toi !…

— Attendez ! murmura le Petit-Russien d’une voix sourde, je veux vous dire comment c’est arrivé…

— Non ! non ! chuchota la mère en le regardant, les yeux pleins de larmes, non, non !…

Pavel s’approcha de son camarade ; ses mains tremblaient ; il était blême.

— La mère a peur que ce soit toi… dit-il à mi-voix avec un rire bizarre.

— Je n’ai pas peur… Je sais que ce n’est pas lui ! Même si je l’avais vu, je ne le croirais pas !

— Attendez ! reprit le Petit-Russien sans les regarder ; il hochait la tête, et essayait toujours de dégager sa main. Ce n’est pas moi… mais j’aurais pu empêcher le crime…

— Tais-toi, André ! dit Pavel.

Et, saisissant d’une main celle du Petit-Russien, il lui posa l’autre sur l’épaule, comme pour arrêter le tremblement qui secouait le corps de son ami. Celui-ci pencha la tête vers Pavel, et reprit d’une voix basse et saccadée :

— Je n’ai pas cherché… tu le sais bien, Pavel ! Voilà comment c’est arrivé : quand tu nous as quittés, nous sommes restés au coin de la rue, Dragounov et moi… Isaïe est survenu brusquement… il est resté un peu à l’écart… il ricanait en nous regardant… Dragounov me dit : — Tu vois ? Il m’espionne toutes les nuits. Je finirai par lui faire son affaire. Et il s’est éloigné pour rentrer chez lui, à ce que je croyais… Alors, Isaïe s’est approché de moi…

Le Petit-Russien poussa un soupir.

— Jamais personne ne m’a aussi bassement outragé que ce chien-là.

Sans parler, la mère le tirait vers la table ; elle parvint enfin à asseoir André sur une chaise. Elle se laissa tomber à ses côtés. Pavel resta debout devant elle, tiraillant sa barbe d’un air sombre.

— Il me dit que nous étions tous connus de la police, que les gendarmes avaient l’œil sur nous et qu’on