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Après la descente du cercueil, les gens s’en retournèrent ; le chien resta, couché sur la terre fraîche, et flaira longtemps. Quelques jours plus tard il fut tué, on ne sait par qui.


III

Un dimanche, une quinzaine après la mort de son père, Pavel rentra ivre à la maison. Il arriva en chancelant dans la première pièce et cria à sa mère, en assénant un coup de poing sur la table, comme le faisait Mikhaïl :

— Le souper ?…

Pélaguée s’approcha, s’assit à ses côtés, et l’enlaçant, elle attira sur sa poitrine la tête de son fils. Il la repoussa, en posant le bras sur son épaule et dit :

— Vite, maman !

— Petit bêta, répondit-elle d’une voix triste et caressante.

— Moi aussi, je veux fumer… donne-moi la pipe du père… grogna-t-il en remuant péniblement sa langue rebelle.

C’était la première fois qu’il était ivre. L’alcool avait affaibli son corps, mais n’avait pas éteint sa conscience ; il se demandait :

— Je suis ivre ?… Suis-je ivre ?

Les caresses de sa mère le rendaient confus ; il était touché par la tristesse de son regard. Il avait envie de pleurer ; et, pour vaincre ce désir, il feignait d’être plus ivre qu’il l’était en réalité.

Et la mère caressait ses cheveux en désordre et couverts de sueur en disant doucement :

— Tu n’aurais pas dû faire cela…

Pavel commençait à avoir des nausées. Après une série de vomissements, il fut mis au lit par la mère, qui plaça un essuie-mains mouillé sur le front pâle. Il se remit un peu ; mais tout tournait autour de lui et sous lui ; ses paupières étaient pesantes ; il avait dans la bouche un goût répugnant et amer ; il regardait le visage de sa mère et avait des pensées sans suite.

— C’est encore trop tôt pour moi… les autres boivent sans être malades ; moi, j’ai des nausées.