Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/16

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La douce voix de sa mère arrivait à ses oreilles, comme lointaine :

— Comment pourras-tu me nourrir, si tu te mets à boire ?

Il dit en fermant les yeux :

— Tous boivent…

Pélaguée soupira profondément. Il avait raison. Elle savait que les gens n’ont pas d’autre endroit que le cabaret pour y chercher du plaisir, qu’ils n’ont pas d’autre jouissance que l’alcool. Pourtant, elle répondit :

— Tu n’as pas besoin de boire ! Le père a assez bu pour toi… Et il m’a assez tourmentée… tu pourrais bien avoir pitié de ta mère.

En écoutant ces paroles mélancoliques et résignées, Pavel pensa à l’existence silencieuse et effacée de cette femme, toujours dans l’attente des coups de son mari. Les derniers temps, Pavel était resté peu à la maison, pour ne pas voir son père ; il avait un peu oublié sa mère ; tout en revenant à son état normal, il l’examinait.

Elle était grande et légèrement voûtée ; son corps pesant, brisé par un labeur incessant et par les mauvais traitements, se mouvait sans bruit, obliquement, comme si elle craignait de se heurter à quelque chose. Le large visage ovale, découpé par les rides et légèrement boursouflé, était illuminé par des yeux noirs à l’expression triste et inquiète, comme chez presque toutes les femmes du faubourg. Au front, une profonde balafre faisait un peu remonter le sourcil droit, il semblait que l’oreille droite aussi était plus haute que l’autre, ce qui donnait au visage un air craintif… Il y avait dans l’épaisse chevelure noire des mèches grises pareilles à des marques de coups terribles… Toute sa personne respirait la douceur, une résignation douloureuse.

Et le long de ses joues, des larmes coulaient lentement…

— Attends ! Ne pleure pas ! supplia Pavel à voix basse. Donne-moi à boire !

— Je vais t’apporter de l’eau avec de la glace…

Lorsqu’elle revint, il dormait. Elle resta immobile un instant, retenant sa respiration ; la cruche tremblait