Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/165

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des billets destinés à Pavel et disparaissaient après lui avoir communiqué leur exaltation.

Chaque nuit les feuilles qui engageaient les ouvriers à fêter le Premier Mai étaient collées sur les palissades et même aux portes de la gendarmerie ; tous les matins, on en trouvait à la fabrique. Et les policiers parcouraient le faubourg de bonne heure et arrachaient en jurant les affiches violettes ; vers midi, elles réapparaissaient et s’envolaient sous les pieds des passants. Des agents de la police secrète furent envoyés de la ville ; postés au coin des rues, ils fouillaient du regard les ouvriers qui s’en allaient dîner, joyeux et animés, ou qui revenaient à la fabrique. Tout le monde était enchanté de voir que la police était impuissante ; les gens d’âge mûr eux-mêmes se disaient en souriant :

— Voyez-vous ça !

Et partout de petits groupes se formaient pour discuter les proclamations.

La vie bouillonnait ; ce printemps-là, elle était plus intéressante pour tout le monde ; elle apportait quelque chose de nouveau ; aux uns, un prétexte de plus pour s’irriter contre les séditieux et les accabler d’invectives ; aux autres, un faible espoir, une vague inquiétude ; à d’autres encore, et c’était la minorité, la joie aiguë de savoir qu’ils étaient la force qui réveillait le monde.

Pavel et André ne dormaient presque plus ; ils rentraient, pâles, enroués, las, un moment avant l’appel de la sirène. La mère savait qu’ils organisaient des réunions dans la forêt, dans le marais ; elle n’ignorait pas que des détachements de police montée faisaient des rondes dans le faubourg, que les agents de la Secrète rôdaient partout, fouillaient les ouvriers qui s’en allaient seuls, dispersaient les groupes et, parfois même, arrêtaient l’un ou l’autre. Elle comprenait que, chaque nuit, son fils et André pouvaient être emmenés. Par moments, il lui semblait que cela aurait mieux valu pour eux.

Un silence surprenant se faisait sur le meurtre d’Isaïe. Pendant deux jours, la police locale avait interrogé une dizaine de personnes ; puis, elle s’était désintéressée de l’affaire.

Un jour, Maria Korsounova, parlant avec la mère, exprimait l’opinion de la police, avec laquelle elle vivait en paix comme avec tout le monde ; elle dit :