Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/181

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de Pavel ; elle vit André se placer devant son fils et le protéger de son long corps.

— À côté de moi, camarade ! cria Pavel d’un ton tranchant.

André chantait, les mains croisées derrière le dos, la tête haute, Pavel le poussa de l’épaule en clamant de nouveau :

— À côté de moi ! Tu n’as pas le droit de te tenir là ! C’est le drapeau qui doit être le premier.

— Dis… per… sez-vous ! cria un petit officier d’une voix aigrelette, en agitant un sabre rutilant. À chaque pas, il frappait le sol du talon avec rage, sans plier les genoux. Les yeux de la mère furent attirés par ses bottes reluisantes.

À côté de lui et un peu en arrière, marchait lourdement un homme rasé, de grande taille, à l’épaisse moustache blanche ; il était vêtu d’un long manteau gris doublé de rouge ; des bandes jaunes ornaient ses larges pantalons. Comme le Petit-Russien, il croisait les mains derrière le dos ; ses épais sourcils blancs étaient relevés, il regardait Pavel.

La mère voyait toutes ces choses ; en elle, un cri se figeait, prêt à s’arracher à chaque soupir ; ce cri l’étouffait, mais elle le retenait, sans savoir pourquoi, en comprimant sa poitrine des deux mains. Bousculée de tous côtés, elle chancelait et continuait à avancer, sans pensée, presque sans conscience. Elle sentait que derrière elle, le nombre des gens diminuait sans cesse, une vague glacée venait au devant d’eux et les dispersait.

Les jeunes gens du drapeau rouge et la chaîne compacte des hommes gris se rapprochaient toujours ; on distinguait nettement le visage des soldats : large de toute la largeur de la rue, il était monstrueusement aplati en une bande étroite d’un jaune sale. Des yeux de couleurs diverses y étaient découpés de manière inégale ; et les baïonnettes minces et pointues brillaient d’un éclat cruel. Dirigées contre les poitrines, elles détachaient les gens de la foule, les uns après les autres, et les éparpillaient sans même les toucher.

Pélaguée entendait le piétinement de ceux qui s’enfuyaient. Des voix criaient, inquiètes, étouffées :

— Sauve qui peut, camarades !