Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/183

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

aperçut au-dessus des têtes des soldats, le visage rond d’André ; il lui souriait, il la saluait.

— Mes chéris… mes enfants… André ! Pavel ! cria-t-elle.

— Au revoir, camarades !

On leur répondit à plusieurs reprises, mais sans unanimité ; les voix venaient des fenêtres, des toits, d’on ne sait où.


XXX


Quelqu’un poussa la mère à la poitrine. Au travers du brouillard qui voilait ses yeux, elle vit devant elle le petit officier ; il avait les traits rouges et tendus, il cria :

— Va-t’en, la vieille !

Elle le toisa du regard, aperçut à ses pieds la hampe du drapeau brisée en deux : à l’un des tronçons pendait un petit morceau d’étoffe rouge. La mère se baissa pour le ramasser. L’officier lui arracha le bâton des mains, le lança à terre, et cria en frappant du pied :

— Va-t-en, te dis-je !

— Lève-toi, lève-toi, peuple opprimé !

Du milieu des soldats, un chant résonna soudain :

Tout tourbillonna, chancela et frémit. Dans l’air, un bruit sourd tremblait, pareil à celui des fils télégraphiques. L’officier revint au galop, et glapit :

— Faites-les taire ! Kraïnov…

Chancelante, la mère ramassa le débris de hampe que le lieutenant avait jeté, et l’éleva de nouveau.

— Fermez-leur la bouche !…

La chanson s’embrouilla, s’entrecoupa ; puis elle se déchira et se tut. Quelqu’un saisit la mère par l’épaule, lui fit faire demi-tour et la poussa dans le dos.

— Va-t-en ! va-t-en !

— Balayez la rue ! cria l’officier.

À dix pas devant elle, Pélaguée distingua de nouveau une foule compacte. Les gens hurlaient, grognaient, sifflaient, reculant lentement et se répandant dans les cours voisines.

— Va-t-en au diable ! cria dans l’oreille de la mère un jeune soldat moustachu, et il la poussa sur le trottoir.