Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/233

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VII


… La vie de la mère s’écoulait dans un calme étrange, qui la surprenait parfois. Son fils était en prison, elle savait qu’un dur châtiment l’attendait ; chaque fois qu’elle y pensait, et en dépit de sa volonté, se dressaient dans sa mémoire les images d’André, de Fédia et d’autres, toute une longue série de figures connues. Résumant pour elle tous ceux qui partageaient son sort, la figure de Pavel grandissait aux yeux de Pélaguée, et en songeant à son fils, ses pensées s’élargissaient et se dirigeaient de tous côtés, à son insu. Elles se dispersaient en minces rayons inégaux, touchant à tout, essayant d’éclairer tout, de tout rassembler en un même tableau ; et elles empêchaient ainsi la mère de s’arrêter sur l’ennui qu’elle éprouvait de ne pas voir Pavel, sur la terreur que le sort de son fils lui inspirait.

Sophie partit bientôt. Cinq jours plus tard, elle revint, vive, et gaie, pour disparaître de nouveau quelques heures après. On ne la revit qu’au bout de quinze jours. Il semblait qu’elle allât dans la vie par grands cercles. Elle montait parfois chez son frère pour remplir sa demeure de vaillance et de musique.

La musique était devenue agréable à la mère, presque indispensable même. Elle la sentait couler dans sa poitrine et pénétrer son cœur, et alors des ondes de pensées naissaient en elle, rapides et intenses, des paroles fleurissaient, légères et belles, éveillées par la force des sons…

Pélaguée se résignait difficilement au désordre de Sophie, qui jetait dans tous les coins les objets lui appartenant, des bouts de cigarettes ou des cendres ; elle se faisait encore plus difficilement à sa manière de parler si hardie. Le contraste était trop grand avec la tranquille assurance de Nicolas, avec la gravité bienveillante et constante de ses paroles. Aux yeux de la mère, Sophie n’était qu’une adolescente désireuse de se faire passer pour une grande personne, et qui considérait encore les gens comme des jouets curieux. Elle parlait beaucoup de la sainteté du travail et augmentait stupidement la besogne de la mère par son désordre ;