Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/237

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glissait furtivement dans son cœur et l’inquiétait ; de la méfiance lui venait, elle avait le désir de comprendre tout le plus vite possible, pour parler elle aussi de la vie, avec des paroles que lui dicterait son âme.

Elle remarqua également que lorsqu’il venait un camarade ouvrier, Nicolas se conduisait avec une aisance extraordinaire ; une expression de douceur apparaissait sur son visage ; il parlait autrement que de coutume, sinon avec plus de grossièreté, du moins plus négligemment.

— Il fait son possible pour se mettre à leur niveau ! pensait-elle.

Mais cela ne la consolait pas, et elle voyait que l’ouvrier était gêné, que son intelligence restait comme nouée, qu’il n’arrivait pas à parler aussi simplement et librement qu’avec elle, femme de sa classe. Un jour que Nicolas était sorti de la chambre, elle dit à l’un d’eux :

— Pourquoi te gênes-tu ? Tu n’es pas un gamin qui passe un examen.

L’autre eut un large sourire.

— C’est manque d’habitude… Tout de même… ce n’est pas un des nôtres !

Et il baissa la tête.

— Cela ne fait rien ! dit la mère. Il est simple…

L’ouvrier lui lança un regard, tous deux sourirent et gardèrent le silence…

Parfois Sachenka venait, elle ne restait jamais longtemps ; elle parlait toujours d’un ton affairé, sans rire ; en s’en allant, elle demandait chaque fois à la mère :

— Comment va Pavel ? Il est bien portant ?

— Oui, Dieu merci ! Il est bien, il est gai.

— Saluez-le de ma part ! reprenait la jeune fille, et elle disparaissait.

De temps à autre, la mère se plaignait à elle de ce qu’on gardât Pavel si longtemps en prison, sans fixer la date de son jugement : Sachenka fronçait le sourcil et se taisait ; ses lèvres tremblaient, tandis que ses doigts s’agitaient nerveusement.

La mère avait envie de lui dire :

— Ma chérie, je sais que vous l’aimez… je le sais !…

Mais elle n’osait : l’air sévère de la jeune fille, ses