Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/239

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par son parler sympathique, par son assurance de femme qui a beaucoup vu et retenu.

Elle aimait à converser avec les malheureux, connaître leurs opinions sur la vie, leurs plaintes, leurs perplexités. Son cœur s’inondait de joie chaque fois qu’elle constatait chez ses interlocuteurs ce vif mécontentement qui, tout en protestant contre les coups du sort, cherche avec ardeur la solution des grands problèmes de l’humanité. Toujours plus large et plus divers, le tableau de la vie avec ses luttes se déroulait devant elle. Partout et en tout elle voyait la tendance cynique à tromper l’homme, à le dépouiller, à tirer de lui le plus de profits possible. Et elle voyait aussi qu’il y avait de tout en abondance sur la terre, tandis que le peuple était dans la misère et végétait à demi affamé, au milieu d’innombrables richesses. Dans les villes, il y avait des temples remplis d’or et d’argent inutiles à Dieu, et sur le parvis, les miséreux grelottaient, attendant en vain qu’on leur fît l’aumône. Elle avait déjà vu ce spectacle autrefois, les opulentes églises, les chasubles brodées d’or des prêtres, les taudis des pauvres et leurs guenilles infectes ; mais alors elle trouvait que c’était tout naturel, tandis que maintenant, elle considérait cet état de choses comme outrageant pour les pauvres, à qui, elle le savait bien, la religion est plus nécessaire qu’aux riches.

Grâce aux images de Jésus, aux récits qu’elle avait entendus, Pélaguée savait qu’il fut l’ami des misérables, qu’il habitait sans faste ; et dans les églises, où les pauvres venaient à lui pour être consolés, elle le voyait emprisonné dans des ornements d’or et de soie, dédaigneusement froufroutante en face du dénuement. Et les paroles de Rybine lui revenaient à la mémoire :

— On s’est servi de Dieu lui-même pour nous tromper ! On l’a revêtu de mensonge et de calomnie, pour tuer notre âme…

Sans qu’elle s’en doutât, elle priait moins, mais pensait davantage à Jésus, aux gens qui, sans parler de lui, sans même le connaître, semblait-il, vivaient selon son Évangile et qui, pareils à lui, considéraient la terre comme le royaume des pauvres, voulaient distribuer en parties égales entre les hommes toutes les richesses. Elle réfléchissait beaucoup à toutes ces