Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/24

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Et sans savoir à quoi il devait prendre garde, elle ajouta tristement :

— Tu maigris de plus en plus.

Et, enveloppant le corps robuste et harmonieux du jeune homme d’un regard caressant, elle dit à voix basse :

— Que Dieu soit avec toi ! Vis comme tu veux, je ne t’en empêcherai pas ! Je ne te demande qu’une chose : ne parle pas à la légère. Il faut se méfier des gens, ils se haïssent tous mutuellement ! Ils vivent par l’avidité, ils vivent par l’envie ! Tous sont heureux de faire le mal… Quand tu voudras les accuser, les juger, ils te haïront, ils te feront périr !

Debout sur le seuil, Pavel écoutait ces paroles douloureuses ; il répondit en souriant :

— Les gens sont méchants, oui… Mais quand j’ai appris qu’il y avait une vérité sur la terre, ils m’ont semblé meilleurs !

Il sourit de nouveau et continua :

— Je ne comprends pas moi-même comment c’est arrivé ! Dans mon enfance, j’avais peur de tout le monde… Quand j’ai grandi, je me suis mis à haïr… les uns pour leur lâcheté… les autres, je ne sais pourquoi… Mais maintenant, il n’en est plus de même, j’ai pitié d’eux, je crois… Je ne comprends pas comment, mais mon cœur est devenu plus tendre quand j’ai su qu’il y avait une vérité pour les hommes, et qu’ils ne sont pas tous coupables de l’ignominie de leur vie…

Il se tut un instant, comme pour écouter quelque chose en lui-même, puis il reprit, pensif :

— Voilà comment respire la vérité !

Elle lui jeta un coup d’œil et dit faiblement :

— Tu t’es transformé d’une manière dangereuse, ô mon Dieu !

Quand il se fut endormi, Pélaguée se leva sans bruit et s’approcha du lit de Pavel. Le visage basané aux traits sévères et obstinés se dessinait distinctement sur l’oreiller blanc. Les mains jointes sur la poitrine, pieds nus et en chemise, la mère resta là, ses lèvres remuaient en silence, et de ses yeux s’échappaient lentement de grosses larmes troubles…