Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/247

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— Ce n’est pas une « dame », mais une révolutionnaire, une camarade, une âme admirable… Elle vous grondera de toute façon, grand-mère ! Elle gronde toujours tout le monde…

Et Iégor se mit à raconter l’histoire de sa voisine, lentement, en remuant les lèvres avec effort. Ses yeux souriaient ; Pélaguée se disait avec inquiétude, à la vue de ce visage tout bleui et moite :

— Il meurt !…

Lioudmila revint ; après avoir soigneusement fermé la porte derrière elle, elle dit à la mère :

— Il faut absolument que votre ami se déguise et s’en aille ; allez lui chercher immédiatement d’autres vêtements et apportez-les ici ! Quel dommage que Sophie soit absente ! Cacher les gens, c’est sa spécialité.

— Elle arrive demain ! répliqua la mère, en jetant son fichu sur ses épaules.

Chaque fois qu’on la chargeait d’une mission, elle ne pensait qu’à l’accomplir vite et bien. Elle demanda d’un air affairé et soucieux, en fronçant les sourcils :

— Comment faut-il l’habiller, qu’en pensez-vous ?

— Peu importe ! Il sortira de nuit.

— C’est bien pis que de jour : il y a moins de monde dans les rues, on vous remarque plus facilement, et Vessoftchikov n’est pas très malin…

Iégor eut un rire rauque :

— Que vous êtes encore jeune… grand-mère !

— Puis-je aller te voir à l’hôpital ? demanda-t-elle.

Il hocha la tête en toussant. Lioudmila regarda la mère de ses yeux noirs, et proposa :

— Voulez-vous que nous le veillions à tour de rôle ? Oui ? Bien !… Et maintenant, allez vite !

Et, prenant la mère par le bras d’un geste affectueux, mais autoritaire, elle la fit sortir dans le corridor, où elle lui dit à voix basse :

— Ne vous fâchez pas de ce que je vous renvoie ainsi… c’est malhonnête, je le sais… Mais cela lui fait beaucoup de mal de parler… et j’ai l’espoir…

Cette explication troubla la mère ; elle chuchota :

— Que dites-vous ! Vous n’êtes pas malhonnête… vous êtes bonne… Au revoir, je m’en vais…

— Prenez garde aux espions ! recommanda la femme à voix basse. Portant la main à son visage, elle se frotta