Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/248

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

les tempes ; ses lèvres frémirent ; elle eut un air plus doux.

— Oui, oui ! répondit la mère, sans fierté.

Arrivée à la grille, elle s’arrêta un instant, comme pour arranger son fichu, et jeta autour d’elle un regard vigilant que personne n’aurait pu remarquer. Elle savait distinguer presque à coup sûr les espions dans la foule. L’insouciance soulignée de la démarche, l’aisance affectée des gestes, l’expression de fatigue et d’ennui peinte sur le visage, le scintillement craintif, confus et mal dissimulé des yeux fuyants et désagréablement perçants, autant de traits qui lui étaient devenus familiers.

Mais, cette fois-là, elle n’aperçut aucun visage connu ; sans se hâter, elle s’engagea dans la rue, puis prit un fiacre en donnant au cocher l’ordre de la conduire au marché. Elle acheta des vêtements pour Vessoftchikov et marchanda sans pitié, tout en couvrant d’injures son ivrogne de mari qu’il fallait habiller à neuf presque chaque mois. Cette fable n’impressionna guère les commerçants, mais causa beaucoup de satisfaction à la mère elle-même ; en route, elle s’était dit que la police devinerait que le fugitif allait se déguiser et qu’une enquête serait faite au marché. Pélaguée retourna chez Iégor, et ensuite accompagna le grêlé à l’autre extrémité de la ville. Ils prirent chacun un trottoir ; et la mère, contente et amusée, regardait le jeune homme marcher lourdement, tête basse, s’embarrassant dans les longs pans de son pardessus jaunâtre, et repoussant son chapeau qui lui glissait sur le nez. Sachenka vînt à leur rencontre dans une rue déserte, et la mère rentra après avoir salué Vessoftchikov d’un hochement de tête.

— Pavel est en prison… André aussi… pensa-t-elle avec tristesse.


IX


Nicolas l’accueillit par une exclamation d’inquiétude.

— Vous savez, Iégor est très bas ! On l’a transporté à l’hôpital ; Lioudmila est venue pour vous demander de l’y aller rejoindre…

— À l’hôpital ?

Après avoir ajusté ses lunettes d’un mouvement ner-