Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/258

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Nicolas l’interrompit, en disant d’un ton grave et affairé :

— Si l’évasion est possible, il faut l’organiser, il n’y a pas d’hésitation possible !… Mais avant tout, il faut savoir si les camarades emprisonnés sont d’accord…

Sachenka baissa la tête.

— Comme s’ils pouvaient ne pas consentir ! dit la mère en soupirant. Seulement, je ne crois pas que ce soit possible…

Ses compagnons gardèrent le silence.

— Il faut que je voie Vessoftchikov, dit Sophie.

— Bien ! Je vous dirai demain où et quand vous pourrez le rencontrer, répondit Sachenka à mi-voix.

Nicolas s’approcha de la mère, qui lavait les tasses et lui dit :

— Vous allez à la prison après-demain… il faudra faire passer un billet à Pavel. Vous comprenez, il faut savoir…

— Je comprends, je comprends ! répliqua vivement la mère. Je le lui remettrai…

— Je m’en vais ! déclara Sachenka ; et, après avoir serré vigoureusement la main de ses camarades, elle partit sans mot dire…

Sophie posa la main sur l’épaule de la mère et lui demanda avec un sourire :

— Vous aimeriez avoir une fille pareille, Pélaguée ?

— Ô Dieu ! Si je pouvais les voir ensemble, ne fût-ce qu’un seul jour ! s’écria la mère, prête à pleurer.

— Oui… il est bon pour chacun d’avoir un peu de bonheur… Quand notre bonheur est trop grand, il est aussi de qualité inférieure…

Sophie s’assit au piano, et se mit à jouer un air mélancolique.


XI


Le lendemain matin, quelques dizaines d’hommes et de femmes se tenaient à la grille de l’hôpital, attendant qu’on sortît le cercueil de leur camarade. Autour d’eux rôdaient avec précaution des espions qui saisissaient chaque exclamation, gravaient dans leur mémoire les visages, les gestes, les paroles ; sur l’autre trottoir, il y