Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/26

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être terribles. C’étaient eux qui avaient montré à son fils la voie qu’il suivait maintenant…

Le samedi soir, Pavel revint de la fabrique, se débarbouilla, changea de vêtements et sortit, en disant sans regarder sa mère :

— Si l’on vient, dis que je serai de retour à l’instant… Qu’on m’attende… Et n’aie pas peur, s’il te plaît… Ce sont des gens comme les autres…

Elle se laissa tomber sur le banc. Son fils la regarda en fronçant le sourcil et lui proposa :

— Tu veux peut-être sortir ?

Elle s’offensa. Hochant négativement la tête, elle dit :

— Non !… c’est égal… Pourquoi sortirais-je ?

On était à la fin de novembre. Pendant la journée, une neige fine et sèche était tombée sur le sol gelé, qu’on entendait grincer sous les pieds de Pavel qui s’en allait. Des ténèbres épaisses se collaient aux vitres des fenêtres. La mère, affaissée sur le banc, attendait, les yeux tournés vers la porte.

Il lui semblait que, dans l’obscurité, des êtres silencieux, aux vêtements étranges, se dirigeaient de toutes parts vers la maison, qu’ils avançaient en se dissimulant, courbés et regardant de tous côtés. Il y avait déjà quelqu’un près de la maison et qui se tenait aux murs.

On entendit un coup de sifflet qui serpenta dans le silence comme un mince filet mélodieux et triste ; il errait dans le désert de la nuit, approchait… Soudain, il disparut sous la fenêtre, comme s’il eût pénétré dans le bois de la cloison.

Des bruits de pas résonnèrent ; la mère frémit et se leva, les yeux dilatés.

On ouvrit la porte. D’abord apparût une grosse tête coiffée d’une casquette de fourrure, puis un long corps penché se glissa lentement, se redressa, leva le bras droit sans hâte et soupira bruyamment, d’une voix de poitrine :

— Bonsoir !

La mère s’inclina sans mot dire.

— Pavel n’est pas encore rentré ?

L’homme ôta avec lenteur une veste de fourrure, leva un pied, fit tomber avec sa casquette la neige qui recouvrait sa chaussure, répéta le geste pour l’autre