Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/279

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paysan se leva, étendit la main vers l’horizon, le sous-officier sauta à terre, chancela, lança les brides à l’homme, puis, s’appuyant pesamment à la balustrade, monta les marches et disparut dans le bâtiment.

Le silence se fit de nouveau. À deux reprises, l’alezan frappa du sabot le sol mou… Une petite fille, au regard caressant, au visage rond, et dont la courte natte ronde tombait sur l’épaule, pénétra dans la chambre où était Pélaguée. Les lèvres pincées, elle portait à bras tendus un grand plateau aux bords usés, chargé de vaisselle ; elle salua en hochant la tête.

— Bonjour, ma jolie ! lui dit amicalement la mère.

— Bonjour !

Tout en disposant sur la table les assiettes et les tasses, la fillette annonça soudain, d’un air animé :

— On vient d’attraper un brigand… on l’amène ici !

— Qu’est-ce que ce brigand ?

— Je ne sais pas…

— Qu’a-t-il fait ?

— Je ne sais pas, j’ai seulement entendu dire qu’on en avait attrapé un… C’est le garde qui est sorti en courant de l’administration pour aller chercher le commissaire, et il a crié : — Il est pris, on l’amène !

La mère regarda vers la fenêtre et aperçut des paysans qui s’approchaient. Les uns marchaient lentement, posément ; les autres se hâtaient et boutonnaient leur pelisse tout en avançant. Ils s’arrêtèrent tous au perron du bâtiment et portèrent leurs regards vers la gauche… Mais ils étaient étrangement silencieux…

La fillette jeta aussi un coup d’œil dans la rue et sortit de la chambre en faisant claquer la porte avec bruit. La mère tressaillit, elle dissimula de son mieux sa valise sous le banc ; puis, ayant jeté un fichu sur sa tête, elle sortit vivement de la maison, réprimant l’incompréhensible envie de s’enfuir qui l’envahissait tout à coup…

Lorsqu’elle arriva sur le perron de l’auberge, un froid aigu la frappa aux yeux et à la poitrine ; elle fut suffoquée, ses jambes s’engourdirent : au milieu de la place elle voyait s’avancer Rybine, les bras attachés derrière le dos, flanqué de deux gardes ; autour du perron de la mairie, une foule de paysans attendaient en silence.