Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/280

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Étourdie, sans se rendre compte de ce qu’elle voyait, la mère ne quittait pas Rybine du regard. Il parlait et elle entendait le son de sa voix, mais les mots s’envolaient sans réveiller l’écho dans le vide tremblant et obscur de son cœur…

Elle revint à elle et reprit haleine ; un paysan à la barbe blonde la regardait fixement de ses yeux bleus. Elle toussa, se frotta la gorge avec des mains affaiblies par la terreur et demanda avec effort :

— Qu’y a-t-il ?

— Regardez vous-même, répliqua le paysan en se détournant. Un autre campagnard s’approcha et se plaça à côté de lui.

Les gardes s’arrêtèrent devant la foule qui grossissait sans cesse, mais restait silencieuse ; soudain, la voix de Rybine résonna, énergique.

— Vous avez entendu parler des papiers dans lesquels on disait la vérité sur notre existence de paysans… Eh bien, c’est à cause de ces papiers qu’on m’arrête… c’est moi qui les ai distribués dans le peuple…

Les gens se pressèrent autour de Rybine… Sa voix était calme, mesurée, la mère en fut soulagée.

— Tu entends ? demanda le camarade du paysan aux yeux bleus en le poussant du coude.

Sans répondre, celui-ci leva la tête et regarda de nouveau la mère. Le second paysan fit de même ; plus jeune que le premier, il avait un visage maigre couvert de taches de rousseur et une petite barbe noire… Les deux hommes s’écartèrent un peu…

— Ils ont peur ! se dit la mère.

Son attention augmenta. Du haut du perron, elle voyait distinctement le visage noirci et tuméfié de Rybine ; elle apercevait l’éclat de ses yeux : elle aurait voulu qu’il la vît aussi ; elle se dressa sur la pointe des pieds en tendant le cou.

Les gens la considéraient d’un air morne, avec défiance, sans mot dire. Dans les derniers rangs de la foule seulement, on entendait un bruit continu de conversations.

— Paysans, mes frères, dit Rybine d’une voix pleine et ferme, ayez confiance en ces papiers… Je marche peut-être à là mort à cause d’eux, on m’a battu, torturé, on voulait me forcer à dire où je les avais pris, on me