Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/282

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pas le permettre… Si on le fait entrer là-dedans, il sera roué de coups jusqu’à ce que mort s’ensuive… Et après, on dira que c’est nous qui sommes coupables, que c’est nous qui l’avons tué… Il ne faut pas le permettre…

— Paysans ! s’écria Rybine. Vous ne voyez donc pas comment vous vivez, vous ne voyez pas qu’on vous dépouille, qu’on vous trompe, qu’on boit votre sang ?… Tout repose sur vous, vous êtes la principale force de la terre… vous êtes toute sa force… Et quels sont vos droits ? Votre seul droit, c’est de crever de faim !

Soudain, les paysans se mirent à crier, s’interrompant mutuellement :

— Il a raison, cet homme !

— Appelez le commissaire de police rurale ! Où est-il ?

— Le sous-officier a été le chercher !

— Allons donc ! Il est ivre !

— Ce n’est pas à nous de rassembler les autorités !

La foule s’agitait de plus en plus.

— Parle ! Nous ne te laisserons pas battre !

— Qu’est-ce que tu as fait, hein ?

— Déliez-lui les mains !

— Non, non, frères !

— Pourquoi pas… Cela n’a pas d’importance !…

— Réfléchissez avant de faire des bêtises !

— Les mains me font mal ! dit Rybine en dominant le tumulte de sa voix sonore et mesurée. Mes frères ! je ne me sauverai pas !… Je ne puis pas m’enfuir de la vérité, car elle vit en moi !…

Quelques personnes se détachèrent de la foule et s’éloignèrent en hochant la tête ; les uns riaient… Mais sans cesse des gens excités, mal vêtus, qui s’étaient habillés à la hâte arrivaient de tous côtés… ils bouillonnaient autour de Rybine, comme une écume noire ; debout au milieu d’eux, telle une chapelle dans la forêt, le prisonnier leva les bras au-dessus de sa tête et cria :

— Merci, merci, bonnes gens ! Nous devons nous délier les mains mutuellement ! Qui nous aiderait si nous ne nous aidions pas nous-mêmes ?

Il leva de nouveau une main tout ensanglantée :

— Voyez mon sang : il coule pour la vérité…

La mère descendit le perron, mais de la place elle