Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/281

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frappera encore… je supporterai tout !… parce que dans ces papiers se trouve la vérité… et la vérité doit nous être plus chère que le pain !… que la vie !…

— Pourquoi dit-il cela ? demanda l’un des deux paysans.

L’homme aux yeux bleus répondit avec lenteur :

— Qu’est-ce que cela peut lui faire… on ne meurt pas deux fois… maintenant il est déjà condamné…

Les agriculteurs restaient muets, lançant des regards furtifs et maussades ; tous semblaient accablés par quelque chose d’invisible et de pesant.

Le sous-officier apparut soudain sur le perron de l’administration ; titubant, il hurla d’une voix avinée :

— Qu’est-ce que tout ce monde ? Qui parle ?

Il se précipita sur la place, saisit Rybine par les cheveux, le secoua en avant et en arrière, et cria :

— C’est toi qui parles, fils de chienne… c’est toi ?

La foule devint houleuse et se mit à gronder. En proie à une angoisse violente, la mère baissa la tête. L’un des deux paysans poussa un soupir. Et la voix de Rybine résonna de nouveau :

— Eh bien regardez, bonnes gens !…

— Tais-toi !

Et le sous-officier lui donna un coup de poing sur l’oreille. Rybine chancela, puis haussa les épaules.

— On vous lie les mains et on vous torture comme on veut !…

— Gardes ! emmenez-le ! Dispersez-vous !

Et sautant devant Rybine comme un chien attaché devant un morceau de viande, le sous-officier lui lança des coups de poing au visage, au ventre et à la poitrine…

— Ne le bats pas ! cria une voix dans la foule.

— Pourquoi le frappes-tu ? demanda un autre.

— Allons ! dit le paysan aux yeux bleus à son compagnon en hochant la tête. Sans se hâter, ils traversèrent la place, tandis que la mère les suivait d’un regard sympathique. Elle soupira avec soulagement. Le sous-officier accourut de nouveau lourdement sur le perron et se mit à hurler avec fureur, en brandissant le poing :

— Amenez-le ici, je vous dis !…

— Non ! répliqua une voix sonore. (La mère comprit que c’était celle du paysan aux yeux bleus.) Il ne faut