Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/293

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— Vous le connaissez, cet homme ?

La mère tressaillit, mais elle répondit avec fermeté :

— Oui !

Il lui sembla que cette réponse brève l’éclairait au-dedans et illuminait tout à l’extérieur.

Le paysan sourit :

— J’ai vu que vous lui avez fait signe… Il vous a répondu… je lui ai demandé à l’oreille s’il connaissait cette femme debout sur le perron de l’auberge…

— Qu’a-t-il dit ? questionna vivement la mère.

— Lui ? Il a dit : Nous sommes nombreux… oui… Il a dit : Nous sommes nombreux…

Il jeta un regard interrogateur sur son hôtesse et continua en souriant de nouveau :

— C’est une grande force, cet homme-là !… Il est courageux… Il dit ce qu’il veut… On le frappe… on l’injurie… et il ne cède pas !

Sa voix mal assurée, ses traits comme inachevés, ses yeux francs et clairs tranquillisaient de plus en plus la mère. Son accablement et son inquiétude se dissipaient pour faire place à une pitié aiguë et profonde envers Rybine. Avec une colère soudaine et amère qu’elle ne put comprimer, elle s’écria d’un ton navré :

— Ces monstres… ces brigands !…

Et elle se mit à sangloter…

Le paysan s’écarta d’elle en hochant la tête d’un air chagrin.

— Oui… le gouvernement s’est fait des ennemis redoutables !

Et soudain, revenant près de la mère, il dit à voix basse :

— Voilà… Je suppose que dans votre valise, il y a des journaux… Ai-je raison ?

— Oui ! répondit simplement Pélaguée en essuyant ses larmes. C’est à lui que je les apportais…

Il fronça les sourcils, rassembla sa barbe dans sa main et garda le silence, le regard fixé dans un coin…

— Nous en avons reçu un aussi… et des brochures, des livres… Moi, je ne suis pas très instruit, mais j’ai un ami qui l’est… ma femme aussi me fait la lecture…

Le paysan se tut, réfléchit, puis reprit :

— Et maintenant, qu’allez-vous faire de tout cela… de votre valise ?