Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/300

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La femme parlait avec de l’ironie dans les yeux et dans sa voix basse et ample, s’arrêtant parfois, comme pour couper ses phrases, telle une aiguillée de fil. Les hommes gardèrent le silence. Le vent frôlait les vitres, bruissait dans le chaume du toit ; par moment, il soufflait doucement dans la cheminée. Un chien hurlait. Comme à regret, de rares gouttes de pluie frappaient contre la fenêtre. La lumière de la lampe tremblait, ternissant et se remettant soudain à briller, vive et égale.

— Voilà donc pourquoi les hommes vivent ! Et c’est curieux, il me semble que je le savais déjà. Pourtant je n’avais encore jamais entendu quelque chose de pareil, je n’ai jamais eu d’idées de ce genre… non !

— Il faut souper, Tatiana, et éteindre le feu ! interrompit Stépane d’une voix morne et lente. Les gens penseront : « Les Tchoumakov ont eu du feu bien tard ! » Pour nous, cela n’a pas d’importance… mais c’est pour notre visiteuse, qui est peut-être imprudente…

La femme se leva et s’affaira autour du poêle.

— Oui ! dit Pierre avec un sourire. Maintenant, il s’agit de faire attention ! Quand on aura distribué de nouveau le journal…

— Ce n’est pas pour moi que je parle… déclara Stépane. Même si on m’arrête, ce ne sera pas un grand malheur ! La vie d’un paysan n’a aucune valeur…

La mère eut soudain pitié de lui. Il lui était plus sympathique qu’auparavant. Maintenant qu’elle avait parlé, elle se sentait débarrassée du fardeau ignoble de la journée, elle était contente d’elle-même et remplie d’un sentiment de bienveillance.

— Vous avez tort de parler ainsi ! dit-elle. Il ne faut pas que l’homme se taxe à la valeur que lui prêtent ceux qui ne le jugent que sur l’apparence et ne veulent de lui que son sang. Vous devez vous apprécier vous-même, de l’intérieur, non pas pour vos ennemis, mais pour vos amis !

— Où sont-ils nos amis ? s’écria le paysan. Je ne les ai jamais vus !

— Je te dis que le peuple a des amis !

— Il en a, mais pas ici… voilà le malheur ! dit pensivement Stépane.

— Eh bien, il faut que vous vous en fassiez…

Stépane réfléchit et répondit à voix basse :