Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/34

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— C’est vrai ! dit le frisé à mi-voix.

Une discussion animée s’ensuivit. La mère ne comprenait pas pourquoi on criait. Tous les visages étaient rouges d’excitation ; mais personne n’était irrité ; on n’entendait pas les mots tranchants et grossiers auxquels elle était habituée.

— Ils se gênent devant la demoiselle, conclut-elle.

Elle était charmée par le visage sérieux de Natacha, qui surveillait attentivement tout le monde, comme si les jeunes gens présents eussent été des enfants pour elle.

— Attendez, camarades ! dit soudain la jeune fille.

Et tous se turent, les yeux tournés vers elle.

— Ceux qui disent que nous devons tout savoir sont dans le vrai. Nous devons nous allumer nous-mêmes à la flamme de la raison pour que les gens obscurs nous voient ; nous devons répondre à tout avec honnêteté, avec vérité. Il faut connaître toute la vérité, tout le mensonge.

Le Petit-Russien hochait la tête au rythme des paroles de Natacha. Vessoftchikov, le jeune homme roux et l’ouvrier venu avec Pavel formaient un groupe distinct ; ils déplaisaient à la mère, sans qu’elle sût pourquoi.

Lorsque Natacha eut terminé, Pavel se leva et demanda tranquillement :

— Est-ce des repus seulement que nous voulons être ? — Non ! se répondit-il en regardant avec fermeté le trio, nous voulons être des hommes. Nous devons montrer à ceux qui nous exploitent et qui nous ferment les yeux, que nous voyons tout, que nous ne sommes ni des idiots, ni des brutes, que ce n’est pas seulement manger que nous voulons, mais aussi vivre comme il convient aux hommes de vivre. Nous devons montrer aux ennemis que la vie de bagne qu’ils nous ont faite ne nous empêche pas de nous mesurer avec eux par l’intelligence et de les dépasser par l’esprit…

La mère écoutait ces paroles ; elle frémissait de fierté en entendant son fils parler si bien.

— Il y a beaucoup de gens repus, mais aucun d’eux n’est honnête ! dit le Petit-Russien. Construisons un pont qui franchisse le marais de notre infecte vie et qui nous conduise au royaume à venir de la bonté sincère voilà notre tâche, camarades !