Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/365

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Elle lui jeta un coup d’œil et répondit :

― Je n’ai pas de famille, je n’ai plus de père.

― Il est mort ?

― Non, il est vivant ! déclara-t-elle avec excitation. (Et quelque chose d’obstiné, d’opiniâtre, résonna dans sa voix et apparut sur ses traits.) C’est un propriétaire foncier, il est chef de district ; maintenant, il vole les paysans… et les bat !

― Ah ! dit Sizov d’un ton traînant ; et après un silence, il reprit, en examinant la jeune fille du coin de l’œil :

― Eh bien, adieu, mère ! Je vais par ici… viens donc prendre le thé et bavarder… quand tu voudras… Au revoir mademoiselle… vous êtes bien dure pour votre père… Bien entendu, c’est votre affaire…

― Si votre fils était un homme de rien, nuisible aux autres, le diriez-vous ? s’écria Sachenka avec passion.

― Oui, je le dirais, répondit le vieillard, après un instant d’hésitation.

― Par conséquent la vérité vous serait plus chère que votre fils ; et pour moi, elle m’est plus chère que mon père…

Sizov hocha la tête, puis dit avec un soupir :

― Ah ! vous êtes rusée ? si vous avez ainsi réponse à tout, les vieux seront bientôt vaincus… vous savez attaquer… Au revoir, je vous souhaite tout le bien possible… Mais soyez un peu plus tendre pour les gens, hein ! Que Dieu soit avec vous ! Adieu, Pélaguée ! Si tu vois Pavel, dis-lui que j’ai entendu son discours… je n’ai pas tout compris… il m’a même fait peur par moments, mais ce qu’il a dit est vrai !

Il souleva sa casquette et disparut sans se hâter au coin de la rue.

― Ce doit être un brave homme ! observa Sachenka, en le suivant d’un regard souriant.

Il sembla à la mère que le visage de la jeune fille avait une expression plus douce et meilleure que de coutume…

Arrivées à la maison, elles s’assirent sur le canapé, serrées l’une contre l’autre ; la mère parla de nouveau du projet de Sachenka. Ses sourcils épais levés, d’un air pensif, la jeune fille regardait au loin de ses grands