Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/37

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— Non ! dit Pavel, d’un ton caressant mais assuré. Je ne veux pas te tromper. Il ne peut pas en être autrement.

Il sourit et ajouta :

— Couche-toi ! Tu es fatiguée ! Bonne nuit !

Restée seule, la mère s’approcha de la fenêtre et regarda dans la rue. Le vent soufflait et chassait la neige du toit des petites maisons endormies, il battait les murs en chuchotant on ne sait quoi, tombait à terre, et faisait courir le long de la rue de blancs nuages de flocons secs.

— Jésus-Christ, ayez pitié de nous ! pria-t-elle à voix basse.

Les larmes s’amassaient dans son cœur, l’attente du malheur dont son fils parlait avec tant de calme et de certitude, frémissait en elle, pareille à un papillon de nuit. Devant ses yeux se déroula une plaine couverte de neige. Le vent ébouriffé y tourbillonnait en sifflant. Au milieu de la plaine, une petite silhouette de jeune fille cheminait, solitaire et chancelante. Le vent s’enroulait autour de ses jambes, gonflait ses jupes, lui lançait à la figure des flocons cinglants. La marche était difficile pour les petits pieds qui enfonçaient dans la neige. Il faisait froid et les ténèbres étaient effrayantes. La jeune fille s’inclinait comme un brin d’herbe secoué par le souffle rapide du vent d’automne. À sa droite, dans le marais, une forêt dressait sa sombre muraille, où les bouleaux et les grêles sapins tremblaient et bruissaient tristement. Bien loin, devant elle, scintillaient les lumières de la ville.

— Seigneur ! ayez pitié de nous ! dit encore la mère, frissonnante de froid et de peur.


VII


Les jours glissaient, les uns après les autres ; comme les boules d’un boulier, ils s’additionnaient en semaines et en mois. Tous les samedis, les camarades se réunissaient chez Pavel ; et chaque séance était comme une marche d’un long escalier en pente douce qui conduisait bien loin, on ne sait où, élevant lentement ceux qui montaient, et dont on ne voyait pas le sommet.