Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/38

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Des figures nouvelles apparaissaient sans cesse. La petite chambre des Vlassov devenait trop étroite. Natacha continuait à venir, transie de froid, fatiguée, mais toujours gaie et animée. La mère lui avait tricoté des bas qu’elle avait voulu mettre elle-même aux petits pieds. Natacha avait ri d’abord, puis s’était tue ; et ayant réfléchi un instant :

— J’avais une bonne, dit-elle à voix basse… elle était aussi étonnamment dévouée ! Comme c’est étrange, Pélaguée Nilovna ; le peuple a une vie si dure, si pleine d’humiliations ; et pourtant, il a plus de cœur, plus de bonté que… les autres.

Elle avait agité le bras, en désignant quelque endroit, très éloigné d’elle.

— Et vous donc ! — lui avait dit la mère de Pavel — vous avez sacrifié vos parents et tout le reste…

Elle ne parvint pas à achever sa pensée, soupira et se tut en regardant Natacha. Elle lui était reconnaissante sans savoir de quoi et restait assise sur le sol, devant la jeune fille, qui souriait, pensive, la tête baissée.

— J’ai sacrifié mes parents… avait répété Natacha. Ce n’est pas le plus pénible. Mon père est si stupide et grossier… mon frère aussi… et il boit. Ma sœur aînée est malheureuse, elle fait pitié. Elle s’est mariée avec un homme beaucoup plus âgé qu’elle, très riche, avare et ennuyeux… Mais c’est maman que je regrette ! Elle est simple comme vous, toute petite comme une souris… Elle court toujours et a peur de tout le monde… Quelquefois j’ai un tel désir de la revoir, ma maman…

— Pauvre petite ! dit la mère de Pavel, en secouant tristement la tête.

La jeune fille se redressa soudain et s’écria :

— Oh ! non ! Il y a des moments où j’éprouve une telle joie, un tel bonheur !…

Son visage avait pâli et ses yeux bleus lançaient des étincelles. Et, posant la main sur l’épaule de Pélaguée, elle dit d’une voix profonde, avec un accent venu du cœur :

— Si vous saviez… si vous pouviez comprendre quelle œuvre joyeuse et grande nous accomplissons… Vous le sentirez ! s’écria-t-elle.

Une impression voisine de l’envie s’empara du cœur de la mère. Elle fit tristement en se levant :