Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/383

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police auquel elle avait donné de fausses indications au sujet du chemin que Rybine avait pris. On la connaissait, on la surveillait, c’était certain !

— Suis-je prise ? se demanda-t-elle. Et elle se répondit en tressaillant : – Peut-être y a-t-il encore… Non, je suis prise, il n’y a rien à faire…

Elle regarda autour d’elle et ne vit rien de suspect. L’une après l’autre, comme des étincelles, des idées s’enflammaient et s’éteignaient dans son cerveau.

— Laisser la valise ?… m’en aller ?

Mais aussitôt une autre étincelle brilla, plus vive :

— La parole de mon fils… la jeter ! Dans des mains pareilles !

Elle serra la valise contre elle.

— Si je la prenais !… Si je courais !…

Ses pensées lui paraissaient étrangères ; il lui semblait que quelqu’un les lui introduisait de force dans le cerveau. C’étaient comme des brûlures qui rongeaient douloureusement sa tête et son cœur, l’éloignant d’elle-même, de Pavel, de tout ce qui s’était déjà confondu avec son cœur. Elle sentait qu’une force hostile l’oppressait avec obstination, accablait ses épaules et sa poitrine, l’abaissait en la plongeant dans une terreur froide. Les veines de ses tempes se gonflèrent, une chaleur monta à la racine de ses cheveux.

Alors, d’un seul effort vigoureux qui la souleva tout entière, elle éteignit en elle toutes ces lueurs faibles, lâches et rusées, en se disant avec autorité : — Ne fais pas honte à ton fils !

Ses yeux rencontrèrent un regard timide et désolé. L’image de Rybine passa dans sa mémoire. Ces quelques instants d’hésitation semblaient avoir tout raffermi en elle. Son cœur battit plus régulièrement.

— Que va-t-il arriver ? se demanda-t-elle en regardant autour d’elle.

L’espion avait appelé un garde ; il lui chuchotait quelque chose en la désignant d’un coup d’œil. Le garde examina la mère et recula. Un autre garde s’approcha, prêtant l’oreille à la conversation. C’était un vieillard robuste à cheveux gris ; il portait toute la barbe. Il fit un signe de tête à l’espion et s’avança vers le banc sur lequel la mère était assise ; l’espion disparut soudain.