Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/387

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Elle reçut un coup dans la poitrine ; chancela et tomba sur le banc. Au-dessus des têtes s’agitaient les mains des gendarmes, qui empoignaient les assistants par la nuque ou les épaules, les jetaient de côté, arrachaient les casquettes et les lançaient au loin. Les choses noircirent et vacillèrent autour de Pélaguée, mais elle domina sa fatigue et se servit encore du peu de voix qui lui restait.

— Peuple, rassemble tes forces en une force une !

La grande main rouge d’un gendarme s’abattit sur son cou et la secoua.

— Tais-toi !

De la nuque, elle vint frapper le mur ; pendant un instant, son cœur fut enveloppé d’une buée de terreur brûlante, mais cette vapeur se dissipa aussitôt sous l’ardeur de la flamme intérieure.

— Marche ! dit le gendarme.

— … N’ayez peur de rien ! Il n’y a pas de souffrance pire que celle que vous éprouvez toute votre vie…

— Tais-toi ! te dis-je, cria le gendarme en la prenant par le bras et en la tirant en avant.

Un second gendarme s’empara de son autre bras.

— … Il n’y a pas de souffrance plus amère que celle qui, jour après jour, dévore le cœur et dessèche la poitrine…

L’espion se précipita au-devant d’elle et brandissant son poing devant le visage de la mère, cria d’une voix aiguë :

— Tais-toi, canaille !

Les yeux de Pélaguée s’élargirent et étincelèrent ; sa mâchoire trembla. Collant ses pieds à la dalle glissante, elle cria :

— On ne tue pas une âme ressuscitée.

— Chienne !

D’un court élan, l’espion la frappa au visage.

— C’est bien fait pour cette vieille charogne ! cria une voix.

Quelque chose de noir et de rouge aveugla un instant la mère ; la saveur salée du sang lui remplit la bouche.

Une explosion d’exclamations la ranima :

— Vous n’avez pas le droit de frapper !

— Camarades !