Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/71

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de jeter aux gens son cœur consumé par le rêve ardent de la justice, l’envahit.

— Camarades ! répéta-t-il, en puisant dans ce mot de l’énergie et de l’enthousiasme, nous sommes ceux qui construisent les églises et les fabriques, qui fondent l’argent et forgent les chaînes… C’est nous qui sommes la force vivante qui nourrit et amuse tout le monde, depuis le berceau jusqu’à la tombe…

— C’est ça ! s’écria Rybine.

— Toujours et partout, nous sommes les premiers au travail, tandis qu’on nous relègue aux derniers rangs dans la vie. Qui s’occupe de nous ? Qui nous veut du bien ? Qui nous considère comme des hommes ? Personne !

— Personne ! répéta une voix pareille à un écho.

Reprenant possession de lui-même, Pavel se mit à parler avec plus de simplicité et de calme. La foule s’avançait lentement vers lui, comme un corps sombre à mille têtes. Elle regardait le jeune homme avec des centaines d’yeux attentifs, aspirait ses paroles ; le bruit s’apaisait un peu.

— Nous n’aurons pas un meilleur lot tant que nous ne nous sentirons pas solidaires, tant que nous ne formerons pas une seule famille d’amis, étroitement liés par le même désir… celui de lutter pour nos droits…

— Parle de l’affaire ! s’écria une voix rude à côté de la mère.

— Ne l’interrompez pas ! Taisez-vous ! répliqua-t-on de divers points.

Les visages noircis avaient une expression d’incrédulité maussade ; quelques regards seulement se posèrent sur Pavel avec gravité.

— C’est un socialiste, mais il n’est pas bête ! fit quelqu’un.

— C’est un révolutionnaire ! dit un autre.

— Comme il parle hardiment ! s’écria un ouvrier, un grand gaillard borgne, en poussant la mère de l’épaule.

— Camarades ! Le moment est venu de résister à la force avide qui vit de notre travail, le moment est venu de se défendre ; il faut que chacun comprenne que personne ne viendra à notre secours, si ce n’est nous-mêmes ! Un pour tous, tous pour un, telle doit être notre loi, si nous voulons vaincre l’ennemi…