Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/83

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nous vous apporterons les choses en question… et de nouveau la roue qui anéantit les ténèbres séculaires se mettra en mouvement. Vive la parole libre, grand-mère, et vive le cœur maternel ! En attendant, au revoir !

— Au revoir ! dit Samoïlov, en serrant avec force la main de Pélaguée. Moi, je ne peux pas souffler mot de tout cela à ma mère.

— Tout le monde finira par comprendre ! dit-elle, pour lui être agréable, tout le monde !

Lorsqu’ils furent partis, elle ferma la porte et, s’agenouillant au milieu de la chambre, se mit à prier sous le bruit de la pluie. Elle pria sans prononcer de paroles ; ce fut comme une seule grande pensée ; elle pria pour tous ceux que Pavel avait introduits dans leur vie. Elle les voyait passer entre elle et les images saintes, et ils étaient si simples, si étrangement proches l’un de l’autre, et si isolés dans la vie.

De bonne heure, elle se rendit chez Maria Korsounova.

La bruyante marchande, sa robe couverte de graisse comme toujours, l’accueillit avec compassion.

— Tu t’ennuies ! demanda-t-elle en frappant de la main sur l’épaule de Pélaguée. Console-toi ! On l’a pris, on l’a emmené, la belle affaire ! Il n’y a pas de mal à cela ! Autrefois, on mettait les gens en prison quand ils avaient volé ; maintenant on les enferme parce qu’ils disent la vérité. Pavel a peut-être dit des choses qu’il ne fallait pas dire, mais c’était pour défendre les camarades, et cela, tout le monde le comprend, n’aie pas peur… On sait bien que c’est un brave garçon, même si on ne le dit pas… Je voulais aller chez toi, mais je n’ai pas eu le temps… Je cuisine sans cesse, j’écoule ma marchandise, et pourtant je suis sûre de mourir pauvre. Ce sont les amants qui me ruinent, les sacripants ! Ils avalent, avalent, on dirait des blattes qui engloutissent un pain… Dès que j’ai une dizaine de roubles, voilà qu’un de ces hérétiques arrive et me les vole… Oui ! C’est une mauvaise affaire que d’être femme ! Quelle vie dégoûtante ! Il est difficile de vivre seule, et encore plus de vivre à deux !

— Et moi, je suis venue pour te demander de me prendre comme aide, dit Pélaguée, interrompant ce flot de paroles.