Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/87

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pareil fardeau pendant sept kilomètres ! s’écria la mère Pélaguée en soupirant et en hochant la tête.

— Il le fallait ! répondit Sachenka en frémissant. Dites-moi comment est Pavel Mikhaïlovitch ?… il n’a pas été trop ému ?

Elle parlait sans regarder la mère et, inclinant la tête, elle arrangeait sa coiffure avec des doigts mal assurés.

— Non ! répondit la mère. Oh ! il ne se trahira pas…

— Il a une santé robuste, n’est-ce pas ? continua la jeune fille d’une voix basse et légèrement tremblante.

— Il n’a jamais été malade ! dit la mère. Comme vous tremblez ! Attendez, je vais vous faire du thé, je vous donnerai des confitures aux framboises.

— Ce serait bon ! s’écria Sachenka avec un faible sourire. Seulement, pourquoi prendre cette peine ? Il est tard, laissez-moi faire le thé moi-même.

— Mais vous êtes si fatiguée ! répliqua la mère d’un ton de reproche ; et elle se mit à allumer le samovar. Sachenka la suivit dans la cuisine, s’assit sur le banc et, joignant les mains au-dessus de la tête, reprit :

— Oui, je suis fatiguée ! Malgré tout, la prison épuise ! Quelle maudite inaction ! Il n’y a rien de plus pénible… On reste là une semaine, un mois, on sait toute la besogne qu’il y a à faire… les gens comptent sur vous pour les instruire… on sait qu’on peut leur donner ce qu’il leur faut… et on est en cage, comme une bête féroce… C’est cela qui dessèche le cœur.

— Qui vous récompensera ? demanda la mère.

Et elle répondit elle-même en soupirant :

— Personne, excepté Dieu ! Vous non plus, vous ne croyez pas en lui, probablement ?

— Non ! répondit la jeune fille.

— Et moi, je ne vous crois pas ! déclara la mère en s’animant soudain.

Tout en essuyant à son tablier ses mains salies par le charbon, elle continua avec une conviction profonde :

— Vous ne comprenez pas votre croyance. Comment peut-on se vouer à une vie pareille sans croire en Dieu ?

Sous l’auvent, des pas bruyants résonnèrent, une voix grommela. La mère frémit ; la jeune fille sauta brusquement sur ses pieds et chuchota :

— N’ouvrez pas ! Si ce sont les gendarmes, vous ne