Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/88

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me connaissez pas… je me suis trompée de maison… je suis entrée chez vous par hasard, je me suis évanouie, vous m’avez déshabillée… et vous avez trouvé les brochures… vous comprenez ?

— Pourquoi cela, ma chère ? demanda la mère avec attendrissement.

— Attendez ! dit Sachenka en prêtant l’oreille. Je crois que c’est Iégor…

C’était lui, trempé de pluie, harassé.

— Ah ! le samovar est prêt, s’écria-t-il, c’est ce qu’il y a de meilleur au monde, grand-mère !… Vous êtes déjà là, Sachenka !

Et, remplissant la petite cuisine des sons rauques de sa voix, il enleva prestement son lourd pardessus et continua, sans reprendre haleine :

— Voilà une demoiselle bien désagréable pour les autorités, grand-mère ! Comme un des geôliers l’avait insultée, elle lui a déclaré qu’elle se laisserait mourir de faim s’il ne lui présentait pas des excuses ; et pendant huit jours elle n’a rien mangé, c’est pourquoi elle est presque partie pour un monde meilleur. Ce n’est pas mal, n’est-ce pas ? Que dites-vous de mon petit ventre ?

Il secoua sa panse ballonnée de grosses brochures qu’il soutenait de ses bras courts et passa dans la chambre, refermant la porte derrière lui.

— Vous êtes vraiment restée huit jours sans manger ? demanda la mère, avec étonnement.

— Il fallait qu’il me fasse des excuses, répondit la jeune fille en remuant frileusement les épaules.

Ce calme et cette opiniâtreté austères firent naître chez la mère quelque chose qui ressemblait à un blâme.

« Ah ! c’est comme cela ! » pensa-t-elle.

Et elle demanda encore :

— Et si vous étiez morte ?

— Que faire, je serais morte ! répliqua la jeune fille à voix basse. Il a fini par s’excuser. On ne doit pas pardonner les outrages…

— Oui… dit lentement la mère. Et pourtant, nous autres femmes, on nous outrage toute notre vie.

— Je me suis allégé ! déclara Iégor, en ouvrant la porte. Le samovar est prêt ? Permettez, je vais le prendre…