Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/89

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Il s’empara du samovar et ajouta en le portant dans la chambre.

— Mon papa buvait au moins vingt verres de thé par jour, c’est pourquoi il a passé soixante-treize ans sur cette terre paisiblement et sans être malade. Il pesait plus de cent kilos et était sacristain du village de Vosskressenski…

— Vous êtes le fils du père Ivan ? s’écria la mère.

— Justement. Comment le savez-vous ?

— Je suis aussi de Vosskressenski !

— Alors, nous sommes pays ? Quel était votre nom de jeune fille ?

— Séréguine… Nous étions voisins…

— Vous êtes la fille de Nile le boiteux ? C’est un personnage que je connais bien, il m’a tiré les oreilles plus d’une fois.

Ils étaient restés debout et riaient en s’interrogeant. Sachenka les regardait et souriait, tout en préparant le thé. Le bruit de la vaisselle entrechoquée rappela la mère à ses devoirs.

— Oh ! Excusez ! je me mets à bavarder et vous oublie… C’est si agréable de voir un pays…

— C’est moi qui dois vous demander pardon de m’être servie ! dit Sachenka. Mais il est déjà onze heures et j’ai encore une longue route à faire…

— Pour aller où ? à la ville ? questionna la mère avec étonnement.

— Oui !

— Il fait nuit, il pleut, vous êtes fatiguée ! Restez ici ! Iégor couchera à la cuisine et nous deux ici…

— Non, il faut que je parte ! déclara simplement la jeune fille.

— Oui, payse, il faut que cette demoiselle disparaisse. On la connaît ici. Et si elle se montrait demain dans la rue, ce ne serait pas bien ! confirma Iégor.

— Comment ? elle va s’en aller toute seule !

— Oui, dit Iégor avec un petit rire.

La jeune fille se versa encore du thé, prit un morceau de pain de seigle, le sala et se mit à manger en regardant pensivement la mère.

— Comment en êtes-vous capable ? Et Natacha aussi ? Moi je ne le ferais pas, j’aurais peur ! dit la mère.