Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/111

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— Fais attention, que je ne meure pas !

— N’aie pas peur, je veillerai.

— Bon ! Si je mourais maintenant, ce serait comme si je n’avais pas vécu ! Tout serait perdu…

— Ne parle pas tant et reste tranquille…

Pendant un instant, il garda le silence ; les yeux fermés, il tortillait les poils de sa barbe et faisait claquer ses lèvres noires ; tout à coup, il se secoua comme si on l’avait piqué et il se mit à penser tout haut :

— Il faut remarier Jacob et Mikhaïl le plus vite possible ; peut-être qu’une femme et de nouveaux enfants les retiendront de boire.

Et il chercha dans sa mémoire les filles qui lui conviendraient comme brus. Grand’mère se taisait et vidait tasse sur tasse ; quant à moi, assis à la fenêtre, je regardais le crépuscule s’enflammer au-dessus de la ville et les vitres rouges qu’embrasait le soleil couchant, grand-père, pour me punir de je ne sais quelle faute, m’ayant interdit de descendre dans la cour et au jardin.

Là-bas, pourtant, les scarabées voletaient et bourdonnaient autour des bouleaux. Un tonnelier travaillait dans la cour voisine ; tout près, on aiguisait des couteaux ; au bas du jardin, dans le ravin, les enfants jouaient. J’aurais bien voulu les rejoindre. La tristesse vespérale me remplissait le cœur.

Tout à coup, grand-père sortit je ne sais d’où un livre neuf dont il frappa bruyamment la paume de sa main et m’appela d’une voix alerte :

— Eh ! gamin, arrive ici ! Oreilles salées, pommettes