Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/115

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— Tu ne sais pas ? Eh bien, écoute, mon ami, sois rusé, c’est préférable, car la naïveté et la bêtise, c’est la même chose ; as-tu saisi ? Les moutons sont naïfs. Souviens-toi de cela ! Et maintenant, va t’amuser…



Bientôt, je sus épeler le livre des Psaumes ; on consacrait généralement à l’étude l’heure qui suivait le thé du soir et chaque jour je devais en lire un passage.

— H-e-u-, heu, r-e-u-x, heureux… L’-h-o-m, l’homm-e. Heureux, l’homme… épelais-je, en promenant mon crayon sur la page ; et je demandais pour égayer la leçon :

— L’homme heureux, c’est l’oncle Jacob ?

— Je vais te calotter, et alors tu sauras qui est l’homme heureux, répliquait grand-père en reniflant furieusement ; mais je sentais bien qu’il ne se fâchait que par habitude, et pour le maintien de la discipline.

Et je ne me trompais presque jamais : au bout d’un instant, mon aïeul semblait m’avoir oublié et il grommelait :

— Oui, pour ce qui est de s’amuser et de chanter, il ressemble au roi David ; mais il agit comme Absalon ; il est plein de fiel, ce chansonnier, ce bouffon, cet histrion… Ah ! vous…

J’interrompais ma lecture, et j’écoutais en jetant de temps à autre un coup d’œil sur le visage rembruni et soucieux du vieillard ; ses yeux à demi fermés semblaient me transpercer ; un sentiment de