Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/131

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Le cheval soupirait et hochait la tête.

Et pourtant grand’mère ne prononçait pas aussi souvent que grand-père le nom du Seigneur. Son Dieu à elle m’était accessible et ne m’effrayait pas, mais on ne pouvait Lui mentir, car c’était une honte. Il m’inspirait une sorte de pudeur invincible et je ne mentais jamais à grand’mère. Pas plus à elle qu’à ce bon Dieu, d’ailleurs, je n’avais envie de rien cacher.

Certain jour, la cabaretière, s’étant querellée avec grand-père, injuria du même coup grand’mère qui n’avait pas pris part à la dispute, la couvrit d’invectives et lui lança même une carotte.

— Ma chère, vous êtes une sotte ! lui répliqua fort tranquillement mon aïeule.

Mais j’étais très vexé de l’attitude de la cabaretière et je résolus de tirer vengeance de la détestable commère.

Longtemps, je me creusai la tête pour découvrir ce qui blesserait le plus douloureusement cette grosse femme aux cheveux roux, au double menton et dont on ne voyait pas les yeux.

Ayant observé toutes les phases des querelles intestines qui éclataient entre nos locataires, je savais que, lorsqu’ils voulaient se livrer à des représailles, ils coupaient la queue des chats, empoisonnaient les chiens, tuaient les poules et les coqs ; ou bien se glissaient la nuit dans la cave de l’ennemi, versaient du pétrole dans les cuves où l’on conservait la choucroute et les concombres, ou bien encore ouvraient les robinets des tonnelets de kwass. Mais rien de tout cela ne me convenait ; je voulais quelque chose de plus saisissant, de plus terrible.